Du vers à la phrase musicale

 

     On s'intéresse ici aux tangos écrits comme des chansons sur des textes en vers.

 

     On peut alors aborder la question des pauses et des repos de la musique en se référant aux règles espagnoles de versification et de rythmique du texte.

     La règle de structure rythmique est que les vers réguliers de n syllabes (par exemple n = 8 : octosyllabes, n = 12 : dodécasyllabes, n = 14 : alexandrins espagnols, etc.) ont leur dernier accent sur l’avant-dernière syllabe.

     Les vers qui ont leur dernier accent sur la dernière syllabe ont n-1 syllabes et sont "complétés" en vers réguliers par ajout d’un silence, équivalent à 1 syllabe.

 

     Ainsi, prenons l'exemple du tango Cotorrita de la suerte et lisons en le texte :

 

1

¡mo tose la obrerita por las noches!

 

12 syllabes

2

Tose y sufre por el cruel presentimiento

 

12 syllabes

3

Tose y sufre por el cruel presentimiento

 

12 syllabes

4

no abandona a su tierno corazón;

+1 =

12 syllabes

5

la obrerita juguetona, pizpireta,

 

12 syllabes

6

la que diera a su casita la alegría,

 

12 syllabes

7

la que vive largas horas de agoa

 

12 syllabes

8

porque sabe que a su mal no hay salvación.

+1 =

12 syllabes

 

 

 

 

1

Pasa uhombre quien pregona:

 

8 syllabes

2

"¡Cotorrita de la suerte!

 

8 syllabes

3

Augura la vida o muerte.

 

8 syllabes

4

¿Quieren la suerte probar?"

+1 =

8 syllabes

5

La obrerita se resiste

 

8 syllabes

6

por la duda, temerosa,

 

8 syllabes

7

y un papel de color rosa

 

8 syllabes

8

la cotorra va a sacar.

+1 =

8 syllabes

 

 

 

 

1

Al leerlo su mirada se animaba

 

12 syllabes

2

y temblando ante la dicha prometida

 

12 syllabes

3

tan alegre leyó: Unovio, larga vida...

 

12 syllabes

4

Y un sollozo en su garganta reprimió.

+1 =

12 syllabes

5

Desde entonces deslironse sus as

 

12 syllabes

6

esperando al bien amado ansiosamente

 

12 syllabes

7

y la tarde en que moa, tristemente,

 

12 syllabes

8

preguntó a su mamita: ¿No lle?

+1 =

12 syllabes

 

 

 

     Dans ce texte, on a signalé, en les soulignant, les syllabes qui se prononcent comme une seule (appelées sinalefas). Le décompte des syllabes, qui prend en compte les sinalefas, donne 12 pour les couplets et 8 pour le refrain.

 

(*) La sinalefa se rencontre lorsque la dernière syllabe d'un mot se terminant par une voyelle et la première du mot suivant, s’il commence par une voyelle, possiblement précédée par un h, muet en espagnol (exemple : no hay).

  

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     Considérons maintenant les vers qui ont leur dernier accent sur la dernière syllabe et qui sont "complétés" par ajout d’un silence, équivalent à 1 syllabe.

Parmi ces vers, il y a ceux qui donnent lieu à des phrases musicales terminées par un silence (), sur le dernier temps, traduit dans la danse par une suspension :

no abandona a su tierno corazón;

¿Quieren la suerte probar?"

et ceux, en position finale d’une strophe, pour lesquels le silence suivant la fin du vers en question est occupé par un Chan-chán.

porque sabe que a su mal no hay salvación

la cotorra va a sacar.

preguntó a su mamita: ¿No lle?

 

     

       Quant aux autres vers, ils ont leur dernier accent sur l’avant-dernière syllabe.

     Bien que dans certains tangos, la dernière syllabe non accentuée de ces vers est traitée, en général, par une note sur le temps 3 de la dernière mesure, dans la présente partition, cette note est placée sur le tempsde la dernière mesure, en mouvement descendant, cette note étant suivie d'un silence sur le temps 3 :

  • de 2 degrés de la gamme dans le couplet ;
  • et, encore plus légèrement, d’1 degré dans le refrain.

cette note étant suivie d'un silence sur le temps 

 

     Noter la finesse mélodique de la fin de phrase "Pasa uhombre quien prego-na:", répétée sur "La obrerita se resi-ste", phrases qui s’achèvent chacune, après une belle succession d'accords, sur un intervalle descendant d’½ ton. Dans la danse, si, comme ici, la dernière note, entendue sur un temps fort, est plus ou moins fortement accentuée, on pourra, sur ce repos de la musique, poser délicatement le pied et repartir sur l'accent suivant.

 

     On a vu plus haut qu'en fin de vers avec accent sur la dernière syllabe, il peut être ajouté un silence. On trouve aussi des cas où l'on redémarre sans silence, sans pause de la mélodie (ou de l'accompagnement), sur la phrase suivante, avec un contre-rejet, comme développé sur la page Configurations particulières, où sont pris comme exemples les tangos Trenzas et Vieja amiga.

 


    Voici la partition de ce tango.


 

     Les considérations qui précèdent concernent, pour la mise en musique d'un texte en vers, la façon de traiter les fins de vers en les fins de phrases musicales correspondantes

     Mais sur chaque vers à traduire par une phrase musicale, le compositeur s'intéresse en outre non plus à toutes les syllabes du texte, mais à l'ajustement des accents de la musique sur les syllabes accentuées du texte.

 

     Ainsi, ayant choisi une tonalité (la plupart du temps en mode mineur) et imaginé une mélodie qui s'accorde au sens du texte, il s'attachera à placer les syllabes accentuées de ce texte sur certains temps de la musique. Ces accents pourront être débit) que le compositeur souhaite donner à la diction des paroles par le chanteur.

     Les syllabes accentuées de la mélodie trouvent appui sur des accords de l'accompagnement, qui, pour sa part, comprend d'autres accents, puisque en général l'accompagnement est constitué d'accords marqués (choisis selon les règles de l'harmonie), répartis sur la quasi totalité des temps forts et des temps faibles, à l'exception principale de ceux qui suivent les fins de phrases musicales.

 

     Dans la mise en musique du présent tango, on constate d'abord que chaque vers est repris par une phrase musicale occupant substantiellement la durée de 2 mesures. Il est intéressant de voir comment, en mettant le texte en regard de la partition, que le compositeur, Alberto De Francofait correspondre les syllabes accentuées du texte de José De Grandis principalement à la durée d'1 temps, parfois d'1/2 temps ou d'1/4 de temps, en syncope.

     

les passages chantés, par exemple sur la version de Francisco Canaro - Alberto Arenas, de 1945.

 

 

     On écoutera aussi les versions qui figurent sur la fiche dédiée à ce tango : la version enregistrée par Carlos Gardel en 1927 et celle enregistrée par Aníbal Troilo, avec Alberto Marino en 1945. (Voir Cotorrita de la Suerte).

 


     Enfin, si, dans ce tango, on s'intéresse aussi au début de chaque phrase musicale, on s'aperçoit que :

  • sur la première section ("couplet"), pour chacune des phrases, qui sont en imitation les unes des autres, la mélodie démarre sur le temps 4 de la mesure précédente, en anacrouse du premier temps fort 1 de la première mesure ;

 

  • sur la seconde section ("refrain"), 

           - la mélodie de chacune des 6 premières phrases, en imitation les unes des

             autres, ne commence, en syncope, qu’après un bref silence (1/4 de temps) ; 

           - la septième phrase commence "bille en tête" par un accent sur le premier

             temps fort, produisant un effet dramatique ;

           - et la dernière phrase, qui conclut la section, est également en imitation des

             phrases 1 à 6, mais elle est plus courte car elle ne commence qu'après un

             retard de la durée d'1 temps. en anacrouse du temps fort 3 de la mesure.

              

 

 

 

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