Tango canción de 1924.
Le célèbre Recuerdo est l'un des premiers tangos composés par le jeune Osvaldo Pugliese, à 18 ans, mais publié sous le nom de son père, Adolfo.
Concernant la composition musicale de ce tango, on rapporte souvent le propos de Julio de Caro, qui déclarait :
"Recuerdo a marqué une voie [nouvelle] dans la composition du Tango. Il implique une conception moderne dans sa structure harmonique, dans le développement inattendu de sa ligne mélodique, dans la couleur de ses sons, dans la pertinence des changements de tonalités (modulations), dans ses arpèges bien venus, dans l'originalité de sa variation. Un des chefs-d'œuvre de notre Tango qui durera toujours."
Dans la rubrique El tango “Recuerdo”, un secreto de familia du site TodoTango, Ricardo García Blaya ajoute pour sa part :
"Le tango Recuerdo est né à une époque où le genre a grandi et évoluait en permanence, où l'inspiration des compositeurs semblait infinie, de sorte qu'aujourd'hui il serait difficile de choisir un moment "charnière", une étape à partir de laquelle on pourrait dire qu’il y a un avant et un après de telle ou telle œuvre.
[...]
Recuerdo est un [...] moment décisif dans le développement de la création du Tango. Pour beaucoup, c'est le meilleur tango qui ait jamais été, non seulement pour ses charmes esthétiques, mais aussi parce qu'il a ouvert de nouvelles perspectives dans la composition."
A la suite de Julio De Caro, en 1926, ce tango a été abondamment enregistré jusqu'à nos jours. On peut ainsi citer les enregistrements de :
Notons que Jorge Osvaldo Caldaggiero, grand connaisseur de l'oeuvre et de la discographie de Pugliese, signale encore une interprétation de Recuerdo par le Maestro en 1979.
A ce tango, conçu initialement comme instrumental, Eduardo Moreno, d'un an le cadet de Pugliese, a ajouté des paroles, assez maladroites (l'excuse de la jeunesse !), au demeurant plutôt touchantes. Osvaldo ne s'y est pas opposé...
Voici le premier texte écrit par Eduardo Moreno quelques mois après sa composition (texte trouvé sur le site HermanoTango). C'est la version enregistrée par Rosita Montemar avec la Típica Víctor en 1926 (ou 1927). C'est de cette version que Denise Anne Clavilier donne une traduction en français dans son ouvrage Barrio de Tango (Editions du Jasmin - page 61). Celle que nous proposons ci-dessous est assez voisine.
Recuerdo
Ayer cantaron los poetas
Y lloraron las orquestas,
En las suaves noches del ambiente del placer,
Donde la bohemia y la frágil juventud,
Aprisionadas a un encanto de mujer,
Se marchitaron en el bar del barrio sud,
Muriendo de ilusión
Muriendo su canción.
Mujer…
De mi poema mejor.
Mujer…
Yo nunca tuve un amor.
Perdón…
Si eres mi gloria ideal
Perdón…
Serás mi verso inicial.
Y la voz en el bar para siempre apagó,
Su motivo sin par nunca más se oyó.
Embriagada Mimí que llegó de París,
Siguiendo tus pasos la gloria se fue
De aquellos muchachos del viejo café.
Quedó su nombre grabado
Por la mano del pasado,
En la vieja mesa del café del barrio sud,
Donde anoche mismo una sombra de ayer,
Por el recuerdo de su frágil juventud
Y por la culpa de un olvido de mujer,
Durmióse sin querer
En el café-concert.
Souvenir
Hier ils ont chanté, les poètes ;
ils ont pleuré, les orchestres
dans les nuits douces où régnait le plaisir,
où la bohème et la fragile jeunesse
prises au piège du charme d’une femme
se sont fanées dans le bar du quartier sud ;
elles se mouraient d'illusion ;
et se mourait leur chanson.
Femme...
de mon meilleur poème.
Femme...
je n'ai jamais eu d’amour.
Pardon...
puisque tu es mon rêve de bonheur
Pardon...,
tu seras mon premier vers.
Et la voix dans le bar s’est éteinte pour toujours,
on n'a plus jamais été entendu sa mélodie sans pareille.
Mimi grisée, arrivée de Paris,
en suivant tes pas, le bonheur a quitté
ces gars du vieux café.
Il est resté son nom gravé
par la main du passé
sur la vieille table du café du quartier sud (*)
où, la nuit même, une ombre d’hier,
par le souvenir de sa fragile jeunesse
et par la faute de l’oubli d’une femme,
s’est endormie sans le vouloir
au Café Concert.
(*) Comment ne pas penser au "Bal chez Temporel", mis en musique et chanté par Guy Béart quelque 30 ans plus tard ? Le texte du Bal chez Temporel est adapté du poème "Le Tremblay" d’André Hardellet (1911-1974) in "La Cité Montgol" (Ed. Gallimard - 1952).
Voici d'abord l'enregistrement "historique" de Rosita Montemar :
Par la suite, ce premier texte d'Eduardo Moreno a subi quelques modifications. Ainsi, les paroles chantées par Jorge Maciel en 1966 (données sur le site Hermano Tango) en diffèrent quelque peu. Outre quelques variantes mineures, le dernier couplet est remplacé en totalité.
Recuerdo
Ayer, cantaron poetas y lloraron las orquestas
En las suaves noches de romántico querer,
Cuando la bohemia de la frágil juventud
Aprisionada en un encanto de mujer,
Quebró los sueños en el bar del barrio sur.
Muriendo su canción,
Quemando al ilusión
De su dulce amor...
Mujer...
De mi poema mejor.
Mujer...
Yo nunca tuve un amor.
Perdón...
Si eres mi gloria ideal.
Perdón...
Serás mi verso inicial.
Y la voz en el bar, para siempre apagó
El motivo sin par, que al amor cantó,
Rubia y dulce Mimí, que soñando en París
Llevara en sus pasos la gloria que fue
De aquellos muchachos del viejo café...
Te busqué por el mar y jamás te encontré
El cielo y yo y un sueño azul
Que se durmió en una estrella.
Si he rodado por los bares
De otros mundos misteriosos,
Buscando aquel milagroso
Perfume de la ilusión.
Quién cerró en el recuerdo
Tu cofre de amor…
Souvenir
Hier ils ont chanté, les poètes et pleuré les orchestres
en ces nuits douces d’amour sentimental,
lorsque la bohème de la fragile jeunesse
prise au piège du charme d'une femme,
a brisé les rêves dans le bar du quartier sud
elle se mourait sa chanson
elle se brûlait à l'illusion
de son doux amour …
Femme...
de mon meilleur poème.
Femme...
je n'ai jamais eu d’amour.
Pardon...
puisque tu es mon rêve de bonheur
Pardon...,
tu seras mon premier vers.
Et la voix dans le bar s’est éteinte pour toujours
cette mélodie sans pareille qui a chanté l'amour,
blonde et douce Mimi, qui rêvant à Paris,
emportera avec elle le bonheur passé
de ces gars du vieux café.
Je t’ai cherchée par les mers et je ne t’ai jamais trouvée,
le ciel, moi et un rêve bleu
qui s’est endormi dans une étoile.
Car j’ai erré dans les bars
d’autres mystérieux pays,
à la recherche de ce miraculeux
parfum de l'illusion.
Qui a-t-il enfermé dans le souvenir
ton coffre au trésor d'amour…
Sur le site Hermano Tango, on trouve un troisième texte, également d'Eduardo Moreno (?), mais très différent, daté de 1927 :
Campanita! Campanita!
No me recordés la cita!
Si ya se ha perdido todo
Todo el santo amor,
Que nació la mañana
Que puse mi fe.
Sentí, como si fueras sagrada canción
Pero sin yo quererlo me engañé,
Campanita, sí,
Cuando te hablé así:
Deja
Tu campanazo habitual.
Llora
Si conoces ya mi mal.
¿Sabes?
Que mi sentido cantar,
Se fue
Porque no puedo llorar.
Campanita de ayer
Campanita del sol,
Tú me diste un querer
Lleno de arrebol.
Mi pasión se extinguió,
Mi cariño murió,
De negro se viste
Campana del Bien,
Tu historia es muy triste
¡La mía, también!
Clochette ! Clochette !
Ne me rappelle pas le rendez-vous !
S’il s’est déjà tout à fait perdu
tout cet amour sacré,
qui est né le matin
où j’ai engagé ma foi.
Je me suis senti comme si tu étais un chant sacré
mais sans le vouloir, je me suis trompé,
mais oui, clochette,
quand je t’ai dit ces mots :
Cesse
ton tintement habituel.
Pleure
si tu connais déjà mon mal.
Le sais-tu ?
Mon chant sincère
s’en est allé ;
car je ne peux pas pleurer.
Clochette d’hier
clochette du soleil,
tu m’as donné un amour
aux rougeoyantes lueurs.
Ma passion s’est éteinte,
mon amour est mort,
il s’est vêtu de noir,
cloche du Bien,
ton histoire est bien triste.
La mienne aussi !
On écoutera enfin la magnifique - et combien émouvante ! - interprétation donnée par le vieux maestro lors du concert historique du 26 décembre 1985 au Teatro Colón de Buenos Aires.