Configurations métriques particulières de tangos
Pour aller un peu plus loin dans l'exploration de la structure fine de la musique Tango.
Nous avons précédemment établi la distinction entre phrase métrique et phrase musicale (ou phrase mélodique).
Nous avons dit qu'un tango est en général écrit de manière que les phrases musicales cadrent substantiellement avec les phrases métriques.
On a vu aussi que la phrase musicale peut se terminer sur le premier temps fort (le 1) de la dernière mesure, laissant le dernier temps fort (le 3) "silencieux" (temps fort non-accentué) ou occupé par une ponctuation telle qu'un Chan-chán sur les temps 2 et 3.
On a aussi précisé que la phrase musicale pouvait encore être très courte et n'occuper qu'une partie (par exemple en gros la moitié) de la phrase métrique. A cet égard, on a parlé précédemment de suspensions (temps forts non-accentués) internes aux phrases métriques, qui les partagent en deux ou plusieurs phrases musicales plus courtes.
. On va s’intéresser ici à certains cas singuliers où, dans un tango, au moins une phrase musicale est décalée par rapport à la phrase métrique.
Enjambement avec rejet
Une phrase musicale peut déborder (par exemple de la durée d’1 temps) sur la phrase métrique suivante, donnant lieu à une formule analogue à l’enjambement avec rejet connu en poésie. Le dernier accent de la phrase musicale (dans les phrases chantées, c'est la dernière syllabe accentuée) sonne sur le premier temps fort de la phrase métrique suivante.
Un exemple de rejet en poésie peut être tiré des alexandrins de Rimbaud dans Le Dormeur du Val (premier quatrain) :
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
où D'argent et Luit sont rejetés sur le début du vers suivant,
ou du second quatrain :
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
où Dort est rejeté sur le début du vers suivant.
Enjambement avec contre-rejet
Il se peut aussi que la phrase musicale anticipe sur la phrase métrique (par exemple de la durée d’1 temps) donnant lieu à une formule analogue à l’enjambement avec contre-rejet. Le premier accent de la phrase mélodique (dans les phrases chantées, c'est la première syllabe accentuée) sonne sur le dernier temps fort de la phrase métrique précédente.
Empruntons encore au Dormeur du Val (premier tercet) un exemple de contre-rejet en poésie :
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
où Souriant comme est placé par anticipation sur la fin du vers précédent.
Dans les pages suivantes, pour illustrer nous traitons des exemples particuliers de ces formules d'enjambement avec rejet ou contre-rejet, relevés dans la musique Tango :
et